Celui qui revient d’Égypte

Comme d’habitude, Alysson est en avance à son rendez-vous. Elle est un peu nerveuse et ne peut s’empêcher de vérifier plusieurs fois que ses vêtements ne comportent aucun faux pli. Lorsqu’elle pousse la porte du café, elle est accueillie par une agréable vague de chaleur et une alléchante odeur de crêpes. Elle enlève son bonnet et se passe la main dans les cheveux pour se recoiffer puis examine la pièce d’un regard circulaire. La place près de la fenêtre fera très bien l’affaire. Elle pourra observer le va-et-vient des passants et profiter encore un peu de la lumière du jour, en attendant Liam, qui, lui, est toujours en retard.

Il y a pire endroit pour patienter.

Alysson s’installe puis sort un miroir de poche de son sac à main pour contrôler une dernière fois l’état de son maquillage. Son mascara met subtilement ses grands yeux bruns en valeur, son fard à joues lui donne bonne mine et son rouge à lèvres apporte un peu de féminité à l’ensemble. Parfait. Maquillée, mais juste ce qu’il faut pour l’occasion.

— Puis-je prendre votre commande ?

Le serveur fait sursauter Alysson.

— Un chocolat chaud, s’il vous plaît.

Elle a bu la moitié de son chocolat lorsque Liam franchit le seuil de la porte d’entrée. À la vue de ses courtes boucles dorées et de ses beaux yeux bleus, le cœur d’Alysson fait un bon dans sa poitrine. Lorsque le visage de Liam se pare d’un sourire à tomber par terre, elle frissonne.

Après avoir échangé quelques banalités, Alysson entre dans le vif du sujet.

— Alors ce voyage en Égypte avec ton frère, c’était comment ?

— Plein de rebondissements !

Liam est un globe-trotter qui adore raconter ses voyages. Ça tombe bien, Alysson adore écouter Liam.

— … et forcément, ça a retardé un peu le départ, mais finalement, tout est rentré dans l’ordre et on a pu rejoindre l’hôtel sans encombre. Enfin, ce n’était que le début de nos mésaventures.

Pour être exact, elle aime plutôt le regarder parler. Voir ses lèvres bouger au rythme de ses paroles et ses yeux pétiller à l’évocation de ses souvenirs de voyages.

— Et tu as pu visiter les pyramides ? demande-t-elle pour lui montrer qu’elle s’intéresse à lui.

— Oui ! Bien sûr ! C’était la première fois que j’emmenais mon frère dans un de mes voyages et c’était la première fois qu’il sortait du territoire français. Tu aurais vu sa tête quand il a aperçu les pyramides. C’était magique !

Alysson sourit lorsque Liam sourit, frissonne quand il emploie un ton grave. Elle rit aussi, de temps en temps.

— … et c’est à ce moment-là qu’on s’est rendu compte qu’on avait perdu le guide. Du coup, on a commencé à sérieusement baliser. On a repensé à l’avertissement qu’il nous avait traduit, tu sais la sorte de malédiction à l’entrée de la salle du tombeau, qui est là pour satisfaire les attentes des touristes, selon lui. Et on s’est demandé si ce n’était pas une véritable malédiction qui s’abattait sur nous à ce moment-là.

Il a une nouvelle veste, non ? Cette couleur lui va tellement bien, elle rehausse le bleu de ses yeux.

— … et là, il a commencé à hurler de douleur, alors on s’est dépêché de sortir avant que ça ne s’infecte. On n’est jamais trop prudent avec ces bêtes-là… Le truc, c’est qu’on ne retrouvait plus la sortie et je voyais qu’il commençait à tourner de l’œil.

Et même plusieurs semaines après ses vacances en Égypte, il garde son beau bronzage. C’est fou !

— … mais j’ai dû me rendre à l’évidence : mon portable n’a pas survécu à la chute, l’écran était complètement pété. Je me suis dit : « la vache c’est quoi ces vacances pourries. On va y mourir dans cette pyramide. On va y rester jusqu’à ce que quelqu’un trouve un jour nos corps desséchés. »

Et son parfum… il ne serait pas à base de sève de pin ? C’est quelque chose de boisé, c’est sûr.

— Enfin voilà. Finalement, le guide nous a trouvés et on s’est fait rapatrier en catastrophe. Mon frère a fini ses vacances à l’hôpital et moi j’ai perdu la moitié de mon budget dans les transports et les soins. À y réfléchir, je pense que ça a été le pire voyage de ma vie.

Alysson lui offre son plus beau sourire et glousse amoureusement.

— C’est cool, t’as passé de super vacances alors !